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A la mémoire de Joseph Stiassny (03-11-2007)1

Avec la permission du Père Grech, que je remercie d’avoir accepté célébrer avec nous, je me permets de prendre la parole pour un instant de réflexion avec vous - soyez assuré que je ne fais pas ici une homélie.

Je ne me sens pas comme le meilleur indiqué pour cette tâche. Mon confrère Pierre et d’autres qui ont connu Joseph Stiassny pendant beaucoup plus de temps seraient mieux placés pour le faire, cependant comme j’ai organisé cette célébration je dois en assumer les conséquences.

Je voudrais tout d’abord, au nom des Religieux de Notre-Dame de Sion, remercier tous les personnes présentes: Les sœurs de Sion pour leur accueil et à la communauté du Chemin Neuf qui avec celle de Sœur a prit soins de rendre possible rencontre.

Merci à chacune et à chacun, à celles et à ceux qui sont venus à titre personnel où qui représentent leurs communautés, en particulier de Jérusalem, de Beer- Sheva et de Jaffa. A chacune et chacun qui ont connu le Pe Stiassny qui prient avec nous aujourd’hui et qui ont fait l’effort de venir jusqu’ici. Je pense aussi à ceux et à celles qui auraient voulu être ici avec nous. Je veux spécialement remercier Ursula Becker qui est venue de Seeheim, en l’Allemagne pour être avec nous. Au nom de la Congrégation des Religieux de Notre-Dame de Sion je la remercie pour sa présence, mais surtout pour tout ce qu’elle a fait pour Joseph Stiassny pendant presque 30 ans de relation amicales et notamment pour les derniers 6 années où elle s’est donnée tout entière pour adoucir la vie de Joseph. Chère Ursula, tu as fait pour notre confrère ce que la Congrégation ne pouvait pas lui offrir. Il a trouvé chez toi et dans ta famille ce qu’il a perdu dans sa jeunesse, par le simple fait d’être juif: son père, sa mère, son frère, sa sœur et d’autres proches. De tout cœur nous te disons notre profonde reconnaissance.

Parler sur Joseph est une tâche difficile, il échappe à toute définition; on peut lui situer en différentes catégories, mais en effet il ne s’ajuste à aucune d’elles; il fait partie des gens qui appartiennent au monde et à l’universel.

Cependant, pour lui être fidèle, je dois partir dans plusieurs directions. Joseph Stiassny, lui-même, dans un article intitulé: “L’occultation de l’apocalyptique dans le rabbinisme” (1975), me donne une idée pour introduire cet exposé.

Il rapporte un commentaire d’Origène sur les Psaumes: Origène raconte qu’une savoureuse tradition que lui avait transmise un savant hébreu, membre de l’académie rabbinique de Césarée. Les Ecritures Saintes - disait le rabbin - sont semblables à une grande maison comprenant beaucoup de pièces; devant chaque pièce se trouve une clef, mais non pas celle qui correspond à la pièce; on peut donc imaginer combien la tâche est grande et difficile d’aller de serrure en serrure et d’essayer de trouver la clef qui lui correspond2.

Joseph encore dit ceci: “Vivant à Jérusalem, depuis 28 ans (1975) et étant un collectionneur impénitent, j’ai ramassé au cours des années un grand nombre de clefs, mais comme le rabbin d’Origène, je ne sais pas au juste s’il y a une correspondance entre ces clefs et les serrures qu’au cours de ce bref exposé je devrais ouvrir”.

Je commence par la clef qui s’ajuste bien, mais je ne peux pas aller jusqu’au bout. Comme l’ai disait Joseph: bien souvent nous devons nous déclarer vaincus. J’annonce dès maintenant que je donne ici seulement quelques traits de sa vie et de ses activités.

Je précise qui le 21 août nous avons célébré une messe à la mémoire de Joseph, ici chez nos sœurs contemplatives, comme à cette occasion j’ai parlé de lui, je repete ici quelques éléments déjà mentionnés à cette date.

Joseph est né en Hongrie en 1920. Son père, qui était juriste et notaire, s’occupait du contrôle de l’import-export des marchandises. A l’âge de 18 ans, en 1938, il est entré dans la Congrégation des Religieux de Notre-Dame de Sion. A l’âge de 24 ans, en 1944, il est ordonné prêtre à Lyon. Son parcours le sauve des Nazis, mais sa famille n’aura pas le même sort. Tous ont péri sous les nazis. Seul une tante lui est restée qui avait pu partir à temps pour l’Anglaterre. Son père, sa mère et sa sœur sont pris vers la fin de l’année 1943 ou au début de 1944 et ont été immédiatement assassinés: Son frère qui était au séminaire du diocèse fut pris, lui aussi, et a été, semble-t-il, tué aux jours de l’ordination du Pe Stiassny, en avril 1944. Depuis l’entrée des Nazis en Hongrie se sont arrêtées toutes communications avec sa famille. Ne plus savoir ce qui sont devenus les siens: père, mère, sœur, frère, grand-père et grand-mère et tous les autres, cela soulève des questions qui tout le monde doit se poser, et Joseph s’est posé ses questions pendant toute sa vie. Qui pouvait répondre à cela? Ce lourd fardeau Joseph l’a porté toute sa vie et il l’a fait connaître à très peu de personnes. Il valait mieux parfois pour lui ne pas dormir pour ne pas rencontrer cette terrible réalité dans des cauchemars. Il semble qu’il n’a appris définitivement la mort de sa famille que peu de temps avant son arrivée à Jérusalem.

A l’âge de 27 ans, au début novembre 1947 il arrive à Jérusalem - et à Ratisbonne. A partir de cela, pendant 54 ans sur cette Terre, toute son activité sera fondamentalement ici ou à partir d’ici. Le Père Colson, dans son histoire de la Congrégation, dira: “avec le Père Stiassny St. Pierre de Sion inaugure une nouvelle phase de ses activités”. Et de manière très triste, beaucoup d’années plus tard, moi, j’actualise cette phrase du Père Colson en disant qu’avec le départ de Joseph, en 2001, Saint Pierre de Sion inaugure une autre nouvelle phase. Je m’adresse à lui aujourd’hui pour que Saint-Pierre de Sion, en continuité avec lui, puisse reprendre sa fonction dans l’Eglise.

Ursula m’a confirmé une phrase qu’il disait souvent: The last thing that I will do is to die”. La dernière chose que je ferai c’est m“ourir. Et bien, je voudrais le contredire en disant qu’il continue à nous rassembler; c’est en effet grâce à lui qui nous sommes ici. Il accompagne avec nous la nouvelle étape de Ratisbonne. Pensant à Joseph comme l’un des piliers de notre Congrégation, je trouve que sa vie a de nombreux traits communs avec celle de Alphonse Marie. Les deux forment un couple typiquement juif: leurs noms, Marie et Joseph; deux juifs qui en professant la foi chrétienne, restent juifs sans être pour autant déchirés ou confus, ayant reussi à vivre une seule réalité. Les deux ont passé leurs vie en Terre d’Israël. Les deux sont arrivés ici dans à un tournant de l’histoire. Au temps du Père Marie, à la fin du XIX siècle, s’établit sur cette Terre un nouveau régime: le début du retour des juifs, ainsi que l’arrivée des catholiques et d’autres chrétiens. Pour Joseph Stiassny c’est le moment de la formation de l’Etat d’Israël. Ils ont tous deux un rapport avec à notre histoire, l’un pour avoir commencé l’œuvre de Sion en Israël et l’autre pour lui avoir donné suite. Déjà, pendant les années 1947-1949 il commente par écrit ses activités qui se concentrent dans l’établissement d’une base d’Eglise en Israël; il parle de son travail a Jaffa à partir de 1949 et à Jérusalem avec les Sœurs de Saint Joseph et avec les Sœurs du Rosaire, à partir de 1950.

Dès son arrivée à Ratisbonne, il se mit au service de l’Eglise. Théologien, exégète, bon connaisseur de plusieurs langues, y compris l’hébreu, il rend des grands services à l’Eglise tant au niveau local que mondial. Attentif à tout ce qui se passait dans la société israélienne, il a tenu, pendant de nombreuses années, une revue de presse auprès des autorités ecclésiastiques locales pour les informer sur ce qui était publié en Israël. Suivant personnellement les événements survenant de chaque côté des frontières, il rédigeait, chaque trimestre, une chronique dans la revue Proche Orient Chrétien.

Participant activement à la traduction de textes liturgiques en hébreu, il collabora à la mise au point du Missel Romain pour les dimanches et les jours de fête; il fut même nommé l’un des censeurs des livres catholiques paraissant en hébreu au nom du Patriarcat Latin. Le premier livre liturgique publié en 1975 avec l’imprimatur du Patriarche Beltritti, pour le Nihil obstat, fait apparaître Joseph Stiassny comme Censor Deputatus

En 1957 il a été nommé représentant officiel, en Israël, de l’organisation américaine Catholic Relief Services - National Catholic Welfare Conference, et mandaté par le Saint-Siège pour répondre à toutes les questions concernant les demandes de milliers de familles d’émigrants catholiques ou mixtes qui arrivaient en Israël depuis la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie et autres pays. Quand le Comité diocésain pour les réfugiés fut crée, tout naturellement Joseph Stiassny en est devenu la cheville ouvrière. A l’époque le souci principal était de sauvegarder la foi de ces réfugiés chrétiens, de leur rendre présente l’Eglise auprès d’eux et d’assurer aux enfants une éducation chrétienne, tout en tâchant de favoriser leur intégration, soit dans leur pays d’accueil, soit dans un autre pays ouvert aux chrétiens.

En 1956 Sa Béatitude le Patriarche Latin de Jérusalem a institué une organisation centrale chargé de l’apostolat d’Eglise en Israël, intitulée l’Œuvre Saint-Jacques, dont le P. Stiassny fut l’un des membres fondateurs. Par la suite il fut l’un des membres actifs de la Theological Ecumenical Fraternity, et l’un des membres fondateurs du Rainbow Group, où se réunissaient des universitaires juifs et chrétiens pour un dialogue sur différents thèmes: Bible, archéologie, histoire, linguistique, etc.

Dans ces mêmes années 50, c’est encore le P. Stiassny, avec l’appui de notre Congrégation, qui fut à l’origine d’un Institut d’études et d’informations sur le Judaïsme; par la constitution d’une bibliothèque spécialisée et l’accueil d’étudiants et des chercheurs, Saint-Pierre de Sion - Ratisbonne deviendra peu à peu le Centre Chrétien d’Etudes juives où lui-même a enseigné pendant plusieurs années.

Le haut niveau de ses activités d’Eglise fit de lui un conseiller très écouté tant à la Délégation Apostolique qu’au Patriarcat Latin, d’une part, et d’autre part, un porte-parole influent auprès des autorités israéliennes pour les sujets délicats concernant la communauté chrétienne.

Il a écrit des montagnes de papiers, mais il nous a laissé très peu d’articles ou de thèmes organisés. Un amie me disait, avec raison, que le Pe Stiassny avait eu une expérience très particulière, unique; il faisait partie d’une génération qui avait vécu l’ensemble des événements et qui les jugeait en profondeur. A cette époque, qui a marqué l’histoire, il a su prendre sa part. Comment pouvait-il correspondre à tout cela par écrit? Pour quoi écrire et pour qui? C’était un homme qui se protégeait dans ses contacts avec les autres, mais qui témoignait d’un grand cœur. Quand il perd son ami Jean Roger, dans une lettre à Michel Dutheil du 4 décembre 1979 il dira ceci: “Il était mon meilleur ami et j’ai du mal à me faire à son absence. Quelque fois j’ai une idée ou une pensée que je voudrais discuter avec quelqu’un et je me rends compte que Jean Roger est parti, je n’ai plus d’interlocuteur”.

Heureusement on peut trouver dans ses papiers des éléments épars qui sont à mon avis profonds et touchants.

Par exemple une information capitale pour la communauté d’expression hébraïque dont plusieurs sont ici présents. En juin 1955 il écrit dans l’Echo de Notre-Dame de Sion: “Je vous ai parlé la dernière fois de l’Œuvre Saint-Jacques, sans l’appeler de son nom, puisque lors de la dernière Sionienne, elle n’avait pas encore été fondée officiellement. Le 11 février 1955, Sa Béatitude le Patriarche de Jérusalem l’a approuvée ad experimentum ad annum, pour organiser et coordonner en Israël les diverses activités d’apostolat et d’assistance en faveur des familles déjà chrétiennes. Ainsi la Hiérarchie elle-même, non seulement reconnaît la nécessité de faire quelque chose, mais encourage l’activité que depuis des années nous avons menée tout seuls. Le comité organisateur est présidé par Mgr Vergani, Vicaire Patriarcal et Représentant de Sa Béatitude en Israël; le comité se compose de deux Carmes, Elie et Pierre Thomas, d’un Dominicain, Bruno, d’un Assomptioniste, Roger et d’un Père de Sion, Joseph Stiassny. On est en train de fonder des centres locaux à Haifa et à Tel Aviv. Le 25 juin, le comité organisateur s’est réuni pour une journée de prière et de réflexion à Ein Karem chez les Sœurs de Sion, et il fut décidé à l’unanimité, que l’Œuvre Saint-Jacques considérera le tombeau du Père Marie comme son centre spirituel.”

Joseph Stiassny pouvait traiter avec compétence de questions se relevant de plusieurs domaines. Il est difficile de saisir chez lui un thème qui lui soit spécifique; il a écrit sur Socrates, Marcion, sur la Bible, sur le phénomène religieux, sur les problèmes de la société israélienne, sur le shabat, sur les religieux de Sion, etc. J’ai pris quelques idées pour que nous puissions ensemble, mieux connaître sa pensée.

En 1956 il a écrit sur le problème religieux en Israël et on voit comment cette réalité est concrète et vivante chez lui. Sa pensée est géniale. Il a dit: “Il ne faudrait pas penser que le problème religieux en Israël (entre les juifs) n’a rien à porter à son actif. Il y a tout d’abord le pays lui-même qui évoque la longue histoire d’amour entre Dieu et son peuple; il y a la Bible, qu’un gosse israélien de 12 ans connaît mieux que beaucoup de nos professeurs d’Écriture Sainte; il y a la langue hébraïque qui rend chacun contemporain des Prophètes et des Sages; il y a enfin cette jeunesse ardente, remplie d’idéal, qui ne recule devant aucun sacrifice.

Les éléments qui y sont entrés (dans le débat religieux) sont en pleine ébullition; ce qui en sortira en définitive est le secret de l’Histoire ou, plus exactement, du maître de l´Histoire”.

Sa grande passion c’est Jérusalem. Il a beaucoup écrit sur elle et encore davantage parlé d’elle.

En 1977 il a écrit un article intitulé: “Jérusalem, ma ville”

Lisant sa correspondance avec la Revue Bible et Terre Sainte pour cet article, j’ai vu que Stiassny a un peu hésité à son sujet car il avait déjà écrit un article intitulé “La Jérusalem Céleste et la Jérusalem Terrestre” et par ailleurs on voulait lui limiter l’espace dont il pourrait disposer. Il a finalement accepté de l’écrire et j’ai vu son brouillon qui avait d’abord comme titre: “Jérusalem qui j’aime”. Il a changé ce titre par la suite pensant qu’il était trop intime. En définitive le titre de “Jérusalem, ma ville”, suppose aussi l’amour, mais de manière plus discrète. On peut dire qu’il avait avec Jérusalem une relation sacramentelle.

Vous avez de lui une très belle réflexions sur Jérusalem dans votre dépliant pour cette messe. Je vous cite quelques lignes qui précèdent le texte que vous avez: “Jérusalem, bâtie comme une ville où tout ensemble fait corps.” (Ps 122,3) Phénomène bien curieux: l’étranger qui arrive à Jérusalem est frappé par la confusion et le désordre qui y règnent. C’est bien l’orient tel qu’on l’a imaginé, tel qu’on le connaît par la description des illustres voyageurs des siècles passés. Mais pour quelqu’un qui habite Jérusalem cette diversité est dépassée et la ville apparaît comme une et unique. “Jérusalem, ma patrie, Jérusalem, ma mère” - a dit Saint Augustin qui n’a jamais visité la Ville Sainte. Je sais bien qu’il parlait de la Jérusalem céleste, mais pourquoi planer si haut? Un sage juif du IIIe siècle fait dire à Dieu: “Je n’entrerai pas dans la Jérusalem d’en-haut avant d’entrer dans la Jérusalem d’en bas.” Mystère de médiation souvent oublié, mais toujours présent!

Bien souvent, on ne vient pas à Jérusalem dans un but défini d’avance, mais une fois devenu son enfant, on cherche à la bâtir.” Joseph Stiassny, pour sa part a contribué à construire cette Jérusalem qui nous connaissons. Et voici la suite de ce texte: “J’ai toujours remarqué la lumière vive, écrasante, qui envahit Jérusalem le matin; le soir, par contre, c’est une lumière douce, couleurs pastel, qu’il se reflète sur ces merveilleuses pierres rougeâtres, les transforme, les transfigure. Jérusalem plus belle le soir que le matin, n’est-ce pas un signe de la destinée eschatologique de la ville bien-aimée? De même que l’homme passe l’homme, Jérusalem passe Jérusalem. Les prophètes personnifient Jérusalem: ils parlent peu d’elle, ils s’adressent plutôt à elle. Si elle s’élève, ils l’abaissent, si elle s’abaisse, ils l’exaltent, pour qu’elle sache quelle étrange cité elle est”.

Dans votre dépliant encore il y a une très belle réflexion dans laquelle, où Stiasnny joue avec des mots de Pascal pour une autre profonde conclusion sur le peuple juif et je crois bien qui ce faisant il exprimait sa foi (la foi d’un homme d’espérance): “Pendant son long exil Israël allait d’un pays à l’autre, emportant avec lui sa patrie portative: la Bible. C’est le fardeau du Livre qui rendait légères les pérégrinations du peuple. Les Ecrits sont la mémoire du peuple et entretiennent son espérance. Si l’homme est un roseau pensant, le Juif, lui, est un roseau espérant”

A la suite il cite encore un enseignement rabbinique qui pour lui était une actualisation de l’histoire: “Qu’on réalise l’histoire d’Akiva et de ses compagnons se rendant à la montagne de la Demeure et apercevant un chacal qui bondit du Saint des Saints en ruine. Les trois compagnons d’Akiva se mettent à pleurer, mais Akiva rit. Eux demandent scandalisés: Pourquoi ris-tu? Lui répond: Pourquoi pleurez-vous? - Eh! quoi? du saint lieu dont il est écrit “où se promènent les chacals” (Lam 5, 18) nous voyons bondir un chacal et nous ne pleurerions pas? - C’est justement pourquoi je ris, reprend Akiva. Urie le Cohen a dit: Sion sera comme un champ labouré et Jérusalem un monceau de pierres (Jér 26, 18), tandis que Zacharie affirme: Les vieillards et les vieilles s’assiéront encore sur les places de Jérusalem... et les places de la ville seront remplies de petits garçons et de petites filles qui joueront sur ces places (Zac 8, 4-5). Tant que la première de ces paroles ne s’est pas réalisée, je pouvais douter de l’autre, mais maintenant que je vois l’accomplissements de la parole d’Urie, je suis assuré que celle de Zacharie finira, elle aussi, par s’accomplir.” Joseph Stiassny voyait cet accomplissement avec ses yeux.

Plus tard, en 1996 il va proposer une nouvelle réflexion sur Jérusalem dans une magnifique conférence donnée à la Fraternité Œcuménique: “The New and /or Heavenly Jerusalem”. “La nouvelle et/ ou la Céleste Jérusalem”. Encore une fois, il fini par l’espérance, en montrant que Jérusalem est déjà une expérience du Ciel ou une expérience de l’Eternité: “La trajectoire conduit du jardin dont il est question au début vers la Cité ultime, de la fin du temps. De manière surprenante nous ne sommes pas invités à marcher du premier jardin jusqu’au dernier: le dernier jardin est transfiguré en Cité, et cette cité est adéquatement nommée Jérusalem.”

Selon le principe juif, également présent dans l’Apocalypse et chez les premiers Pères de l’Eglise, qui enseigne que la Jérusalem Terrestre correspond à la Céleste, Joseph Stiassny conclut que la Jérusalem est le Paradis récupéré où Dieu a choisi d’habiter et de rétablir le lien rompu avec l’humanité. C’est la ville où la création reprend sont but et où l’eternité assume un sens. Je mentionne encore en mai 1966, donnée au Rainbow Group, une conférence sur Ecumenism and Mission after Vatican II.

Il fallait parler sur les juifs dans la perspective du dialogue. On voit là Joseph sous un autre aspect: quelqu’un qui raconte des histoires, des blagues, selon sa propre pédagogie.

Il commence par une aggadah qui indique bien son style et qui en réalité veut dire une autre chose que ce qu’elle dit. Il raconta l’histoire “d’une chauffeur de camion qui voulait aller (je contextualise cette histoire) à Nazareth à partie de Ein Karem. Il demande à un paysan qui travaillait la terre à côté de la route: Monsieur, s’il vous plaît, comment fais-je pour aller à Nazareth? Le paysan lui répond: vous continuez tout droit et là-bas vous tournez à droite. Le chauffeur lui répond. Mais non, là-bas le pont est cassé, il n’y a pas de route. Alors, reprend le paysan, vous retournez, vous allez tout droit et là-haut vous tournez à gauche. Le chauffeur lui répond encore: mais non, Monsieur, cette route est en construction et je ne peux pas passer avec ce camion. Alors le paysan a pris un peu d’air, il a pensé et lui a dit: Monsieur, si moi, j’avais voulu aller à Nazareth, je ne partirais pas d’ici.”

Joseph Stiassny voulait dire par là que, au lieu de parler du dialogue avec les juifs, il enseigne qu’il nous faut tout d’abord les connaître avant de dialoguer avec eux. Est c’est par là qu’il faut commencer le chemin pour aller à Nazareth. Il a fini sa conférence en citant Menahot 13,6: “Au moment de la destruction du Temple, Abraham mit ses mains sur la tête et en pleurant, désespéré, il criait: Peut être par cet événement, le Ciel annonce-t-il qu’il n’y a pas d’espérance. Alors une Voix Céleste (Bat Kol) est sortie des Cieux et a dit: Olivier verdoyant orné de fruits superbes, ainsi le Seigneur t’avait nommée. (Jr 11,16). Comme l’olivier produit son meilleur fruit à la fin, ainsi Israël florira-t-il à la fin des temps”. Et c’est par là qu’il a fini son article.

Ainsi était Joseph Stiassny. Il ne cherchait pas à donner de réponse, il provoquait la réflexion. La vérité finale reste dans un mouvement de recherche, elle n’est jamais dans la réponse.

Il a composé en 1964 un recueil de textes accompagnés d’une réflexion sur la shabbat intitulé: “Le Sabbat dans la piété juive”. Dans le texte figure ce très beau résumé: “Il y a une harmonie pré-établie entre Israël et le Sabbat: tous deux, avant même la création, furent mis à part; en langage biblique, ils furent sanctifiés. Un vieux traité mystique va jusqu’à déclarer: “la sainteté de Dieu, la sainteté du Sabbat et la sainteté d’Israël sont une”3 . On pourrait dire, elles sont une parce que toute sainteté n’est que le reflet de Dieu, trois fois saint.”

Etant déjà depuis 20 ans à Jérusalem, en 1967, il a écrit un livre sur Nazareth et dans un passage de ce livre il déclare son choix d’être d’être ici. Cela est pour nous tous, qui sommes ici, un réconfort d’entendre: “Etre touriste en Terre Sainte est chose bonne; y venir en pèlerin, est mieux encore, s’y installer, c’est la perfection.” Là encore Joseph nous donne la clé pour comprendre un peu sa vie: elle est enracinée dans sa Terre qui représente l’espace de son existence, même si un jour il a été forcé de la quitter et après cela de souffrir parce qu’il ne pouvait plus y revenir. En effet, son état physique ne le permettait plus. Mais son cœur restait ici, et de ce point de vue, il est mort en exil. Comme il le disait: “le Christ s’est habillé de la chair”; cette chair, en réalité, se trouve dans les Ecritures et les Ecritures prennent corps dans cette Terre, à travers le peuple pour lequel la Terre fut crée.

En rappelant de lui ce qui nous aide à prier avec lui en ce moment, je propose une belle réflexion qu’il a fait sur les Religieux de Notre-Dame de Sion en 1979: “La vocation des religieux de Notre-Dame de Sion est particulière et sa mission est de prendre davantage conscience des trésors qu’ils portent et de faire partager cette conviction à d’autres chrétiens. Ce qui leur donne peut-être un caractère particulier, c’est qu’ils reconnaissent que la vocation d’un peuple ne fut pas un événement passager de l’histoire du salut; le passé, le présent et l’avenir de ce peuple sont pour toujours liés au dessein eschatologiques de Dieu sur l’humanité”.

Ces quelques aspects de la vie de notre confrère, que le Seigneur vient de rappeler à Lui, ne nous empêchent pas, à nous, les Religieux de Notre-Dame de Sion, de Lui témoigner notre reconnaissance et notre gratitude pour celui qui tout au long de son pèlerinage terrestre nous a révélé sa sagesse, son cœur chaleureux, fraternel et toujours prêt à rendre service à ceux qui venaient à lui. ש י ה י ה ז כ ר ו נ ו ב ר ו ך

Elio Passeto, nds
 

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